useless

06/12/12

Net art 2.0 = useless

Categorie(s) : Pensée brute
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Le net art est un terme un peu flou, pour plusieurs raisons. Dans son acceptation stricte, c’est un mouvement né milieu des années 90′, sous la houlette de Heath Bunting, Vuk Kosik, Alexei Shulgin, Olia Lialina, les Jodi et d’autres artistes, qui profitent de cet outil nouveau qu’est le web, avec sa dématérialisation, son absence de géographie, sa disponibilité. On peut exposer des travaux, certes, mais surtout fabriquer des oeuvres destinées à ce lieu moche mais vierge qu’est le réseau. En 1998 le mouvement est pompeusement déclaré mort, dans la grande tradition des avants-gardes, par ses figures maitresses.

Le net art a pourtant une acceptation plus large, englobant des pratiques sur le net qui ne se revendiquent pas de cette famille. Le web est un support, un lieu, une technologie, ça fait pas mal de moyens pour s’en saisir et produire des objets. Et chaque outil émergent (listes, mails, animations, partages de fichiers, de vidéos, réseaux sociaux) fait naitre des objets (oui, des objets, aussi immatériels soit-ils) et des actes posés par des artistes et des auteurs sans titre.

La où les net artistes de la première heure étaient encore attaché à un modèle de rareté hérité de la galerie, le web a rapidement fait exploser le nombre d’oeuvres et rendu incertain le statut de celles-ci. Le buzz peut-il remplacer la notoriété ? est une des questions qui se pose.

Html 5, css3, librairies javascript, web apps, le jargon explose actuellement et l’excitation monte chez les graphistes et les développeurs. A raison d’ailleurs. Les machines sont plus puissantes, les technologies disponibles et documentées, l’émulation maximale, le relai médiatique est assuré par des réseaux sociaux puissants, globaux et avides de circulation de l’information. Tout est en place pour que le web soit l’endroit le plus artistique de la planète.

Du Wait au Waste

Dans les années 90′, il était courant de se moquer du réseau en l’appelant « Word Wide Wait », tant le temps de chargement (5k la seconde en moyenne pour une connexion au modem) était lent. L’activité principale du surfeur était l’attente face à l’écran. Les statisticiens chiffraient d’ailleurs les pertes de temps en millions de dollar. Les moteurs de recherche étaient rustiques, et trouver du net art était le fruit du hasard ou d’une connaissance pointue. L’accessibilité du net s’accompagnait donc encore d’une forme de rareté, une des caractéristiques de l’oeuvre d’art dans la tradition occidentale. Aujourd’hui, alors que la fibre optique est en train de s’installer par kilomètres entiers, on a glissé vers le World Wide Waste, et on peut se demander à quoi a servi cette accélération.

Les années 2000 ont marqué le coup d’une accélération généralisée du consumérisme culturel. Entre les séries télé, le jeu vidéo  et l’adhésion à un réseau social, on  a vu la monté en puissance du terme « chronophage ». Tous semble indiquer que la société des loisirs, comme on l’a désirée depuis les années 50′, est bien là. Pourtant, il semble que ça ne marche pas.

D’une part, on assiste à un mixage du travail et du loisir. L’ordinateur outil central de la globalisation, s’est imposé au travail et à la maison. Couplé à la connexion au réseau, il tend à devenir actuellement à brouiller les limites entre les activités. On regarde les prix des billets d’avion entre deux documents word, on regarde une vidéo entre deux mails, et bien sûr, on garde la page facebook ouverte à côté du tableur. La journée devient un continuum incertain, dont la plupart de nos contemporains ressortent stressés et harassés, tant la compétition qui règne au travail est en parfaite adéquation avec celle de nos égos pris dans le flux des statuts.

D’autre part, la multiplication des outils, des canaux et leur hyperdisponbilité, qui devrait être une chance, semble diluer nos émotions esthétiques. Nous sommes en passe de devenir des flux, et la sédimentation de l’expérience devient très difficile. Du blog au statut, au tweet puis au j’aime, nous avons réduit notre capacité d’élaboration.

Enfin, il est évident que la manière dont nous pensons est en train de muter pour faire face aux nouvelles technologies, et que dans un climat de crise et de concurrence mondiale, le prochain analphabète sera celui qui ne sait pas penser dans le flux, pour citer Moholy-Nagy qui disait dans les années 30′ que l’analphabète est celui qui ne saura pas lire une photographie. Et que celui qui sera analphabète sera inutile pour la société, et que ça ira mal pour lui.

Useless

Tout ceci pour parler du site « the useless web« , qui a bien des égards nous intéresse. Ce site a un principe simple : une page unique avec une phrase « TAKE ME TO ANOTHER USELESS WEBSITE » suivi d’un « please » sur lequel on clique. Au hasard, on tombera alors sur un site, généralement fabriqués autour d’une animation.
Ce site est composé d’une seule page autour d’un nom de domaine bien choisi, un gros bouton à cliquer (quelques petits pour soumettre un lien, en savoir plus, et évidemment liker et twitter). Pas d’auteur visible. En cliquant, on est emmené sur un site au hasard, ce qui masque la taille du catalogue de lien et donne l’envie compulsive de cliquer encore.

En le voyant ce site, je me suis dit que pas mal des pages qu’il référence auraient pu prétendre au « net art ». En fait, elle le font probablement. Le fait qu’elle soient référencées sous  l’appellation d' »inutile » montre le type de consommation qui est suggéré. Oui, je sais, on dit souvent que l’art est inutile. Cette boutade s’accompagne toujours d’arguments de type « grand bourgeois » sur l’inutile qui est indispensable. J’ai toujours tiqué sur ce genre d’argument qui vise à évincer toute réflexion. Passons.

Ce site suggère que nous faisons nous-même la demande d’être emmené sur des pages inutiles, puisqu’il faut cliquer sur le « please » pour activer la procédure. On rejoint là l’idée de la civilisation des loisirs : nous cherchons d’un clic mou à être entertainé, sans devoir chercher, parce que quelqu’un a choisi pour nous des trucs qui seront aussi inutiles, c’est a dire sans nécessité émotionnelle ni intellectuelle, que distrayants et inoffensives. La plupart ont leur propre bouton « like », le retour à la case facebook est donc garantie.

L’outil lui-même utilise le dernier cri des méthodes de marketing. Naomi Klein parlait dans « No logo » d’un fabricant de bière qui offrait en grand prix d’un concours une place VIP d’un concert de groupe mythique du rock reformé pour l’occasion. Le brasseur était cependant déçu que la communication du concours faisait buzzer sur le groupe et pas sur la marque de bière. Le coup de génie avait alors consisté à refaire le concours, mais en rendant secret le nom du groupe qui serait « dévoilé à la dernière minute ». Du coup, seule la marque était citée lors de l’ensemble de la campagne publicitaire.

Ici, le site fait le buzz, et ce vers quoi il mène est absorbé dans sa communication, car nous ne voyons aucun nom. Impossible du coup de ne pas citer le site. C’est indéniablement efficace.

Pleurnichons un peu

Passer du net art au useless website marque le changement qui s’est opéré autour du net. Une mutation profonde qui malheureusement montre comment une utopie (ce que peut être l’outil) est devenue real politic (dans le fond, qu’est ce que les gens veulent?), et comment l’hyperdisponibilité d’un outil a mené au micro-consumérisme, une attention ne dépassant pas quelques secondes, soldée, ou non, d’un « j’aime ».

Au détour de cet outil, il est probable que l’on découvrira des perles, des sites sensibles, fins. Et qu’on ne les aurait pas découvertes sans cet outil. Comme on peut être ému de la réponse fragile et maladroite d’une vieille dame à la question stupide et formatée d’un présentateur vedette. Certes.

3 réponses à “Net art 2.0 = useless”

  1. Fabien Mousse dit :

    Ces œuvres, si l’on peut dire, sont creuses, elles font passer l’art en ligne pour une succession d’écrans animés, parfois accompagnés d’une désastreuse interactivité — Le net.art était il me semble plus subtil et plus ouvert au monde que ce qui est présenté par « Useless website » — Ce gif de Kevin Bewersdorf illustre bien ce que je pense : http://alturl.com/q48js
    En réaction à cela, je propose mon projet REAL INTERNET ART http://fabien-mousse.fr/p/ria/ Il questionne les liens entre monde réel et Internet ainsi qu’un « marché » de l’art en ligne — Pour revenir à « Useless website », comme tu le dis bien, ce site à le mérite d’offrir une certaine visibilité, qui contrairement à des projets plus sérieux et soutenus comme spamm.fr, montre les créations dans un contexte convenable, et pas dans une misérable popup javascript.

  2. stephane dit :

    Cher Fabien, je n’attendais pas une attitude moins critique de ta part. Le gif de Kevin Bewersdorf est par ailleurs la définition même de l’art conceptuel, qui a creusé durement l’écart entre « grand public » (une fiction, on est d’accord) et art contemporain. Avec « useless », on a une forme de réconciliation post-moderne entre public et une forme d’art « rétinien » et « réseau sociaux » (une autre fiction, plus contemporaine). Je ne sais pas encore quoi en penser.

  3. FR dit :

    Je suis sur qu’il y a des artistes qui refusent d’être publié sur ce genre de portails, (quelqu’un par idéologie, ou bien par manque de qualité, ou déjà trop reconnu ou mort(internet, mort ?)), mais cela doit ce trouver.
    Donc tout va bien !

    Sinon pour le « like » il y a cette article qui date un peu http://vasistas-blog.net/2011/08/23/interdiction-du-bouton-like-protection-internaute-ou-derive-reglementaire/ mais que je trouve tout de même interessant.

    et il y à aussi des addons qui suppriment les « +1 » « like » et autres manichéismes du web ; par exemple pour chrome (il doit y avoir cela aussi pour les autres navigateurs) https://chrome.google.com/webstore/detail/antisocial/pghncadecdbeoiklgemofaoampiiicmn
    mais ce genre d’applications font que l’on se cache d’une certaine réalité …

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