L’art est intimement lié à la ville. L’urbain est son contexte de production, de monstration, d’échange, et même son sujet central au moins depuis la modernité. Lieu de la concentration et de l’accélération des échanges marchands et intellectuels, lieu de conquête de la verticalité, mais aussi le lieu du pouvoir, lieu de la débauche, de dépense gratuite, elle a tout pour devenir la métaphore même de l’art.
Même la peinture de paysage est conçue dès son invention comme un extérieur de la ville. Lieu de villégiature chez les impressionnistes, les pictorialistes, et arpentée comme la prochaine extension de la banlieue chez les peintres et photographes américains.
On peut donc se demander s’il existe autre chose que la ville depuis la modernité, et donc si au fond la ville n’est pas le sujet central de toute pratique artistique. La solitude, le délitement social, l’errance, la déchéance, la débauche, l’impossibilité paradoxale de communiquer… Ces thèmes phares, des années 50 à nos jours, sont des problèmes essentiellement citadins.
Il est dès lors étonnant qu’au cours des années 90′, on aie choisi pour métaphore d’un monde nouveau où la vitesse a abolit les distances géographiques et – le postulait-on alors – culturelles, que l’on aie choisi pour cette nouvelle perception du monde que nous avons tous ancrés dans nos cerveaux, celle d’un boule minuscule à l’échelle de l’univers, entourée de lignes vectorielles de couleur représentant les trajectoires de satellites ou d’ avions intercontinentaux, et que nous ayons nommé ce monde accéléré le « village global », alors qu’en fait il s’agit précisément d’une ville globale.
Si ce terme a été choisi, c’est probablement pour les valeurs de chaleur associées au village, sa fameuse convivialité. Or précisément le village global possède tous les attributs de la ville. Les rapports sociaux y sont électifs, la proximité des commerces et des services y est garantie, la faible dépendance aux saisons et à la temporalité (acheter une bouteille de vin à 2h du matin) est son quotidien. Le monde numérique en est le prolongement évident, le fameux ‘ »on ne connait pas son voisin de palier » y est plus vrai encore qu’en ville, tant il est vrai qu’un mail transite par des centaines de kilomètres de cables pour être envoyé à votre voisin de palier.
Les valeurs associées à la campagne ne sont pas prisées en occident depuis longtemps, on peut même dire que la ville s’est construite contre le village, par des déçus du village venu échapper à celle-ci à pied, en abandonnant parfois tout, ou parce que précisément ils y ont tout perdu.
On distinguera bien le village des « gates communities » américaines (prochain modèle global, je le crains), qui sont issues de cette attraction/répulsion pour la ville, qui de fait transforme des états entiers en banlieues, c’est à dire en bord de ville qui l’étendent en fait virtuellement à l’infini.
Le village, c’est proximité non-élective, le ralentissement de la communication, l’indisponibilité du commerce, le règne de l’autarcie. Le fameux « contrôle social », le plus honni de tous, c’est le partage – comme on partage une pitance- des mêmes valeurs. Ce sont les traditions micro-locales dont on hérite et que l’on passe à la génération suivante avec le poids de la fatalité. C’est, enfin, la pauvreté et la dépendance à la terre qui donne, littéralement, bon an mal an. L’homme moderne a fui les conditions de la campagne, la ville est donc sa plus noble conquête, pas le cheval de labour.
Venant du village, je sais très bien ce que je suis venu chercher à la ville. Je ne me sens animé d’aucun désir de néo-ruralité. Cependant, puisque la ville est devenue globale et que rien, pas même Dieu, n’est éternel, on peut se demander ce que sera la prochaine néo-ruralité. Et comme je suis impliqué dans ce que l’on nomme art, je me demande si l’art tel qu’il existe aujourd’hui, et l’art numérique en particulier, fera partie de cette néo-ruralité, où si il luttera pour en être le plus éloigné possible.