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26/01/09

La démocratisation des problèmes de John Davison Rockefeller

Categorie(s) : Pensée brute
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Pensons à John Davison Rockefeller.

John a été élevé à la dure par son père. Celui-ci lui a prété de quoi se lancer dans les affaires au taux des banques, et dès son plus jeune age, lui a apprit à être un bon chrétien, ce qui signifie notamment qu’une partie de ses gains devait aller aux pauvres (il apprit aussi à haïr le socialisme sous toutes ses formes et fera tirer sur les ouvriers en grève plutôt que leur accorder de meilleures conditions de travail, mais c’est une autre histoire). John s’est trouvé en position de monopole dans la raffinerie et le transport du pétrole avant que les voitures ne commencent à apparaitre dans le paysage américain.  Une fois l’industrie automobile lancée, les profits engrangés ont été tellement gigantesques que John a dû créer des fondations à la pelle pour pouvoir gérer les dons qu’il verse.

C’est que le père de John lui a légué une rigueur de gestion hors norme. Il fallait noter la moindre dépense dans un petit carnet noir, et calculer au franc près ce qu’il convenait de laisser en don. De bon gestionnaire de ses comptes, Rockfeller est devenu en quelques années méta-gestionnaire, et sa générosité (une activité de l’être à priori intime) a ainsi été, comme toute sa comptabilité, externalisée. Une abstraction pour la plupart d’entre nous. Sauf que.

Sauf que l’informatique nous transforme en Rockefeller de la société de l’information. Je l’ai découvert en regardant un père de famille posé et sympathique me faire une démo des key features de iPhoto sur le site Apple. Cet homme bien casté me contait devant son prompteur, et avec un flegme désarmant, les merveilles des nouveaux outils de gestion offerts par le logiciel de visualisation de photos. Des procédures automatiques de tris par géolocalisation, par reconnaissance de visage, par événement, synchronisation avec Facebook dans les deux sens en plus des outils communs de tag, de nom et de date. La nouveauté est la production automatique d’informations, qui permet de faire face à la production sans cesse plus grande d’images numériques par le quidam que nous sommes.

Le plus fou est que cette débauche technologique (la reconnaissance faciale est une prouesse technologique à l’arrière goût sécuritaire un peu amer) fait sens, le tri et l’accessibilité de l’information est devenu un enjeu réel dans nos vies quotidiennes. Nous sommes donc devenus à nos corps défendants des méta-gestionnaires de nos photos de vacances, appelant de tous nos voeux la synchronisation de iPhoto avec notre compte bancaire, pour pouvoir commander des albums photos avec carte géographique commentée retraçant notre parcours dans paris, le tout en un clic.

A la fin de sa vie, John Davison transfèrera à son fils la quasi-totalité de sa fortune à coup de chèques de 500 millions de dollars. Il ne garda que de quoi se balader à l’arrière d’une voiture et y peloter des filles sous une couverture à carreau. Il parait que ce fut pour lui une révélation, on ne l’avait jamais vu aussi détendu, rayonnant, bref heureux.

Depuis « L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproduction technique » de W. Benjamin se pose de manière récurrente la question : quelle émotion esthétique est possible quand la reproduction technique la rend plus accessible ? On vit une nouvelle itération de cette question, nous sommes dans l' »ère du browser ». Comme pour chaque itération, il y aura une réponse. Nous ne sommes plus dans la contemplation des montagnes, mais dans l’agrégat d’expériences morcelées, cette fois, me semble-t-il.

Il nous faut une nouvelle fois parier que quelque chose d’unique peut se passer, qui donne sens à l’expérience.

Mon souvenir le plus fort lié à Star Wars par exemple, est le trajet en bus qui l’a précédé : je suis parti après le repas du dimanche à Binche dans l’unique salle du « Kursaal », ai payé mon billet et me suis installé sur une inconfortable banquette de bois. J’avais 13 ans et le sentiment de faire un acte indépendant, d’être le moteur de mes actions, s’est associé à l’aventure du pauvre Luke pour faire de ce moment une expérience forte de mon adolescence.

Je ne sais pas encore avec clarté ce que signifie devoir parcourir mes souvenirs avec des browsers, la valeur et l’intensité que peut avoir une image de mon fils parmi 4857 autres. Probablement autant de valeur et d’intensité que pouvait avoir la somme de 20 dollars sur un des livres de compte de Rockfeller. Mais les 20 dollars que John donnait aux filles qui montaient à l’arrière de sa voiture devaient quant à eux, valoir beaucoup plus.

C’est le message démocratique de John : pour tous et à jamais l’enjeu est de donner de l’intensité aux choses, et de préférence avant d’avoir 90 ans.

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