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26/11/07

What you see is what you can’t get

Categorie(s) : Pensée brute
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Demandez à ami, qui n’a aucun intérêt particulier pour les voitures mais en possède une (dans le milieu bobo, qui est le nôtre, c’est une norme), ce qu’il attend d’une voiture. Il vous répondra que ce qu’il demande à une bonne voiture, c’est qu’elle démarre quand il veut qu’elle démarre, qu’elle soit sûre et ne tombe pas en panne.
Tout ceux qui aiment les voitures et s’y intéressent savent que cette demande goguenarde est ce qu’il y a de plus difficile à faire. Les garagistes sont énervés par ces types qui n’entendent pas toucher à quoi que ce soit de leur machine, n’adoptent aucun comportement spécifiquement préventif par rapport à leur outil, mais pestent sur le manque de fiabilité de ces boîtes noires qui leur échappent.
Ce qui veut dire qu’en matière de technique, ce que nous préférons généralement est sa transparence, sa disparition derrière sa fonctionnalité. L’outil doit être une fenêtre ouverte sur la fonction. Un interface de Mister Cash doit être ergonomique, fiable, dans ma langue sans que je doivent lui spécifier laquelle. Une pointeuse de métro doit prendre et renvoyer le ticket, des milliers de fois. Un GSM doit trouver le réseau, donner un son cristallin quelle que soient les conditions d’utilisation.
Etrangement, ces standards de fiabilité industriels, cette transparence technologique, est entrée dans les moeurs de tous, tous milieux confondus. C’est la chose la mieux partagée entre le sans-papiers et le ministre, entre le cadre sup et le chomeur, entre l’ado et le 3eme age. Elle fait partie du contrat de la modernité, de l’idéologie du progrès. Alors qu’un certain relativisme s’est installé par rapport à cette idéologie (qui croit encore au village global pré-11 septembre ?), on voit bien que notre rapport à la technique est puissamment construit sur l’idée de la technologie doit être une extension du moi. Et paradoxalement, ceux qui aiment le moins la technologie sont ceux qui exigent le plus d’elle, refusant toute négociation, lui demandant la transparence sans tenir compte de sa nature d’interface.

Ces standards sont aussi en vigueur dans les arts industriels et les divertissements de masse : les effets spéciaux ne doivent pas se voir, Pavarotti doit chanter sans donner l’air de forcer, les grimpeurs du tour de France doivent arriver en haut des cols dans un état de fraicheur impeccable.
Ces standards sont en vigueur, et c’est plus étrange, dans les arts numériques. Toutes les personnes impliquées en art savent apprécier la monstration des conditions de production, l’échec partiel ou complet, voire l’absence de résultat, le processus comme seul résultat, la frustration comme émotion vivante, l’expérience du presque rien comme salvatrice, et même l’opacité la plus incongrue. Mais la plupart du temps, ils ne supportent pas ces qualités chez une oeuvre numérique. Il faut qu’elle soit effective, directe, non allusive.

Cela vaut pour le hardware : voir un ordinateur, écran, clavier et souris dans un lieu d’exposition est déjà une expérience désagréable pour la plupart.
Cela vaut pour le software : une interface est très vite jugé incompréhensible, pauvre graphiquement, plate.

Du coup, on ne trouve pour s’adresser au public que des espaces immersifs mutimédias, des choses éloignées de nos rapports quotidiens à la technologie. Du coup, des travaux low tech trouvent peu de faveurs.

Si on peut voir lire la modernité comme une opacification de la fenêtre de la représentation, et une mise en valeur de ses composantes, si la déconstruction est un des enjeux de l’art, pourquoi les arts numériques continuent-ils à en être exclus ? Mystère.

5 réponses à “What you see is what you can’t get”

  1. Yvain dit :

    Excellent article.

    Quant à ta question, je me le demande parfois. Peut-être du fait que les arts numériques sont nés trop vite trop tôt. Pour ma part, intuitivement, je dirais qu’il y a quelque chose de symptomatique de la societé actuelle dans l’art numérique même. Peut-être qu’un jour j’arriverais à l’expliciter.

    Quant à l’opacification, c’est quelque chose de réclamé par les vieux white hats depuis des années et voire même chez les plus vieux black hats. sauf qu’eux visaient les jeunes hackers, leur disant qu’ils ne faisaient plus qu’utiliser des softwares de hack sans même en connaitre l’intérieur, ça a donné naissance à des termes comme « script kiddie », entre autres.

    Enfin bref, juste pour signaler que ça fait plaisir de voir des nouvelles phrases sur ce blog ^^

  2. Yvain dit :

    Oh oui, juste pour faire mon emmerdeur, t’aurais passé un peu trop de temps en allemagne?

    « ces standarts de fiabilité industriels »
    « Ces standarts sont aussi en vigueur »
    « Ces standarts sont en vigueur »

    StandarD, ou alors tu voulais absolument faire sortir le vieux réac qui est en chacun de nous? 🙂

    Sinon, encore une fois, super article merci 😀

  3. stephane.noel.stock dit :

    Yooops. Je corrige de suite. Content d’être lu.

  4. eastwind dit :

    On est dans le rapport à l’extention , une technologie étant par définition une extention fonctionnelle de nos propres organes , met de facto l’utilisateur en tant qu’être étendu et quasi surhomme . Une extention qui ne fonctionne pas c’est voir son pouvoir s’effriter , une extention moindre (low tech ) que la dernière nouveauté hype-tek , c’est voir une ancienne peau comparé à un nouvel habit à la mode … En fait Narcisse étant tombé littéralement dans une torpeur devant son reflet , n’a pu l’être que parce qu’il y voyait une image amplifié de son moi (et une extention de sa vision) et non une image dégradé de celle ci . Mais rien n’indique dans le mythe que Narcisse en était conscient . .. Au contraire même . Si Narcisse avait su consciemment que ce n’est qu’une simple répétition de son être il n’aurait peut être pas sombré dans sa torpeur fatal . Tant qu’inconsciemment on voit la technologie de cette manière l’art numérique sera exclu du champ de l’art en tant que sujet d’art (et donc ayant notamment accès à la deconstruction dans une vision plus large ) …
    Enfin mes 4 cents …

  5. stephane.noel.stock dit :

    Pas mal, l’idée que l’art numérique ne peut exister tant que le numérique sera pensé comme extension du moi semble assez juste, d’autant que le fusion entre technologie et identité est un des enjeux de la communication publicitaire, mais aussi des recherche pointues du MIT par exemple. Wearable computers, miniaturisation, codes barres intelligents, tout va dans le sens de l’absence de distance.
    La fracture entre ceux qui pensent ces objets et ceux qui les consomment se creuse, en tous cas, très rapidement.

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